Le 19 novembre 1999, monsieur Giraud s'en allait tutoyer d'autres cieux...
Dix ans déjà, mais toujours présent, là coeur
Souvenirs et hommage...

J'ai eu le bonheur de faire la connaissance de monsieur Giraud au début des années 80 et de connaitre grâce à lui quelques uns des plus beaux vols de ma vie... Alors en ce dixième anniversaire, voici quelques souvenirs de cet amoureux des Alpes, de ce choucas malicieux, de cet inoubliable magicien du vol en montagne, de cet éternel rêveur...

 

Lorsqu'il arrivait devant un parterre de messieurs, monsieur Giraud retirait toujours son inséparable casquette en un élégant mouvement de salutation. Si une dame faisait partie de l'assistance, il ne manquait pas de lui présenter personnellement ses hommages, avec toute la déférence et la galanterie d'un gentleman, dont le regard s'illuminait toutefois d'un petit air coquin, mais toujours profondément respectueux...

- Mon jeune ami ! avait-il coutume de lancer à celui dont il voulait interpeller l'attention, avant d'entamer une discussion, le plus souvent animée. Il était parfois si volubile, tant dans le verbe que dans le geste, qu'alors même qu'il avait les deux pieds sur terre, on avait parfois l'impression qu'il était déjà en l'air...

"C'est pas l'homme qui prend les airs, c'est les airs qui prennent l'homme", aurait tout aussi bien pu chanter Renaud, tant il était évident que c'est "la-haut" qu'était heureux monsieur Giraud...

Coup de folie ? coup de génie ? coup de coeur ? ou les trois à la fois ? le 23 juin 1960 cet homme là se permit d'aller tutoyer le toit de l'Europe, en posant son Piper Super Cub, son "Choucas", au sommet du Mont Blanc. Mais pouvait-il en être autrement ? C'était un homme de défis ! celui des défis techniques, des défis historiques, des défis administratifs (!), mais surtout, celui des défis humains avant tout, envers et contre tout : comme d'aller porter secours en montagne.

Par ailleurs, il n'était pas encore question de parité que cet homme là voyait déjà les femmes avec égalité. Voilà pourquoi, cette même année, il confia à Monique Charroy, la gageure de battre le record mondial d'atterrissage en altitude pour un planeur. Elle s'acquitta de cette mission avec brio, en posant un Nord2000 sur neige, à 3200 mètres au glacier de Sarennes...

 

Le Mont Blanc, les glaciers, les Alpes, la montagne...

Au fil du temps passé à la survoler, la découvrir, la comprendre et l'apprivoiser pour mieux savoir comment l'aimer, la montagne était devenue sa maitresse, tant par tout ce qu'elle lui avait enseigné, tout au long de sa vie, que par l'amour qu'il lui portait. Du bout des ailes de son fidèle Papa Tango, il en caressait les courbes harmonieuses, comme un homme amoureux caresse tendrement de son regard ou de ses mains, la silhouette de celle qu'il aime...

Un homme et une montagne pouvait-il se rencontrer et s'aimer ? J'ai découvert que oui...

Cet homme là aimait et respectait la montagne, tout comme il aimait et respectait toutes femmes : avec délicatesse, tendresse, admiration et un brin de cette galanterie qui aurait pu paraitre bien désuète, s'il n'avait su la parer d'un humour qui lui allait si bien.

Ainsi, lorsqu'il emmenait en baptême, des dames et demoiselles peu au fait de l'art du pilotage, il aimait tout particulièrement jouer au pitre pour les impressionner gentiment. Il n'hésitait pas pour ce faire, une fois Papa Tango en l'air, à se retourner vers ses passagères arrière, leur laissant croire alors, qu'il ne tenait plus les commandes de vol. Tel un petit garnement, il se réjouissait malicieusement des petits ou grands cris faussement exagérés que poussaient ses promeneuses, plus souvent comédiennes d'un instant que réellement au bord de l'évanouissement. En vérité, cette petite comédie cent fois rejouée, amusait tout le monde et les sourires qui se lisaient sur les visages, une fois Papa Tango posé, ne laissaient aucun doute sur le fait que ces promeneuses d'un jour n'oublieraient pas de si tôt, et sans doute même à jamais, ce clown farceur qui les avait emmenées voler, mais bien plus encore s'émerveiller...

- "Femmes, je vous aime..." dit la chanson. Monsieur Giraud savait de mille façons si bien l'exprimer...

 

Mais cet homme là, qu'il fut réellement appliqué sur son manche à balai ou faussement détaché de ce dernier, ne pilotait jamais : il volait ! Où est la nuance, penserez-vous peut être ? Dans ce subtil, cet indéfinissable et insaisissable supplément d'âme, qui fait qu'il y a la même différence entre piloter et voler, qu'entre être en liberté et être libre...

Cet homme là était libre. Il avait su gagner son ciel, à coups de gueule et d'autorisations "volées", à une administration trop souvent stupidement bornée et sclérosée dans ses petits papiers... Il avait su gagner son ciel, à coups de bois cassé et de toile déchirée, car pour devenir l'un des meilleurs, il faut parfois faire des erreurs... Il avait su gagner son ciel à force de persévérance, de volonté, d'exigence et de cette humilité qu'acquièrent tous les montagnards, dignes d'être ainsi nommés... Il avait su gagner son ciel à force d'aimer et d'être aimé, par celle dont il disait son amour, par pudeur, en plaisantant sur le fait qu'elle avait bien du mérite de le supporter depuis tant d'années : sa femme bien-aimée...

 

Qu'on l'aimât ou qu'il agaçât, monsieur Giraud était un personnage haut en couleurs. Mais n'allez surtout pas croire qu'il aurait pu être parfait. D'ailleurs, il aurait détesté cette idée. Il avait son caractère, son franc-parler et ses défauts : ceux là mêmes qui rendent les plus Grands, humains et attachants, aux yeux de ceux qui les admirent. Il avait entre autres appris de ses erreurs, "qu'il n'y a pas de bons pilotes : il n'y a que de vieux pilotes". Mais, force est de constater qu'il avait surtout de nombreuses qualités, comme cette modestie et cette reconnaissance qui l'amenaient régulièrement à rappeler que d'autres, bien avant lui, avaient vécu, vaincu, et acquis leurs lettres de noblesse en apprivoisant les sommets blancs : Durafour, Geiger, Mermoz, Thoret, Grandjean et bien d'autres encore. Il n'était pas le seul parmi les Grands, et ça, jamais il n'oubliait de le mentionner, en mémoire à ceux qui l'avaient précédé... Il était aussi un exemple de gentillesse, de générosité, de respect, d'humanité, d'intelligence du coeur. Mais ses qualités étaient le plus souvent cachées sous une pudeur toute masculine : celle-là même qui empêche si souvent les hommes de laisser parler leur coeur. Qu'importe. Il est parfois des silences qui sont d'une si belle éloquence...

 

D'aucuns le considéraient comme un génie du vol en montagne. Je crois qu'il était plus simplement un passionné, qui n'avait eu de cesse de "remettre jour après jour son ouvrage sur le métier", pour se perfectionner jusqu'à atteindre les plus hauts sommets. Son mérite n'était pas d'être né avec des ailes, mais d'avoir su les gagner à force de persévérance et de ténacité. "Là où il y a une volonté, il y a un chemin" disait Edward Whymper. Monsieur Giraud en était un exemple parfait...

Alors, qu'il m'est doux, de penser à lui quand un "p'tit c..", quel que soit son âge ou sa taille, croit avoir tout compris de la vie et de l'aviation. Vous savez : celui là même qui flanqué de son millier, voire même de sa seule petite centaine d'heures de vol, traverse le tarmac d'un terrain le torse bombé par la supériorité de celui qui pense avoir tout vu, tout su, tout connu... Sourire...

Qu'il m'est doux de penser qu'il restera à jamais l'un de ces véritables passionné(e)s sans lesquels l'aviation n'aurait pour seule image que celle d'un sport de prétentieux ou de friqués...

Qu'il m'est doux, surtout, de me souvenir combien Papa Tango et lui m'auront fait rêver, durant les quelques vols inoubliables où j'aurai eu le privilège d'embarquer à bord, le temps d'un battement d'ailes au dessus de "nos" montagnes d'une si grande beauté...

 

Pourtant, un jour cet homme là m'a fait pleurer.

L'histoire débute quelque part, dans les années 90, par une belle journée ensoleillée. Ce jour là, j'avais rendez-vous avec une amie de bonne heure au terrain. Nous avions été invitées elle et moi par monsieur Giraud, pour une journée de vol en montagne. Quelques jours plus tôt, il nous avait clairement expliqué comment se déroulerait le programme. Nous l'avions écouté les yeux déjà brillants, comme des "petites filles sages" auraient écouté leur grand-père, sachant qu'il allait leur promettre un tour de manège à la fête du village. Nous savions qu'il effectuerait quelques heures de cours à partir d'Huez, et qu'en fonction des places disponibles, nous pourrions jouer les "sacs de sable". Il nous avait présenté tout cela de façon un peu "militaire", insistant sur les horaires et le fait qu'il nous faudrait savoir patienter à plusieurs reprises à Huez, entre deux ou trois des vols que nous pourrions éventuellement faire à bord de Papa Tango.

Lorsqu'il en eut fini avec toutes les explications et qu'il en vint à nous demander, si cela nous ferait malgré tout plaisir de l'accompagner, la question nous apparut comme saugrenue ! Comment aurions nous pu refuser une telle proposition ?! Même, s'il n'avait s'agit que de faire l'aller-retour Le Versoud-Huez : nous aurions dit "oui" toutes les deux avec enthousiasme ! Alors si en plus nous avions la chance de pouvoir voler au cours de la journée, vous conviendrez qu'il aurait été difficile de refuser... D'autant qu'il existe des cadres bien pires que celui d'Huez pour attendre son "tour de manège".

Le jour convenu, nous arrivâmes donc au terrain à l'heure dite, sauf que...... monsieur Giraud avait omis de nous préciser que l'heure en question était celle du décollage prévu et non des retrouvailles ! Nous nous fimes donc réprimander durant quelques minutes et j'appris ce jour là qu'un horaire de vol se devait d'être respecté, car nous n'étions point là pour faire de "l'aviation Marie-Chantal" ! :-) Bien qu'extrêmement ennuyées d'avoir mis, par ce quiproquo, monsieur Giraud en retard sur ses horaires de cours, nous montâmes dans Papa Tango avec une joie juste suffisamment dissimulée, pour montrer que la leçon avait été parfaitement enregistrée. Mais, bien vite la bonne humeur revint à bord et à peine débarqués à Huez, monsieur Giraud se lança dans une grande explication volubile, dont lui seul avait le secret, pour s'excuser auprès de ses élèves impatients, mais amusés par les faits... :-)

Il serait trop long, de vous décrire ici, le reste de cette journée unique et tout le bonheur qui nous fut offert ce jour là. Mais une chose est sûre : c'est qu'en bien des points, elle demeurera sans le moindre doute, pour le restant de ma vie, comme l'un des plus beaux vols en montagne qu'il m'aura été donné de faire...

 

Aussi, lorsque je rentrai chez moi ce jour là, je sortis aussitôt un cahier de brouillon et je me mis à écrire une lettre "à ma façon", afin de remercier celui qui m'avait fait rêver toute une journée durant. Lorsque je parvins au résultat espéré, je pris un bloc de papier à lettre représentant une montagne avec un vieux chalet en bois, et je m'appliquai à recopier le plus joliment possible, la lettre que je venais d'écrire.

Puis, j'attendis durant quelques jours, l'occasion d'une fin de journée où je pourrais croiser monsieur Giraud au Versoud. Lorsque celle-ci se présenta, je patientai sur le parking auto du club et lui remis ma lettre au moment où il s'apprétait à quitter le terrain. Je lui demandai de ne l'ouvrir qu'une fois chez lui. C'est ce qu'il fit, sans jamais m'en reparler, alors que nous allions continuer à nous croiser et papoter de temps à autre, au fil du temps qui s'écoulerait. Nous nous étions tacitement compris lui et moi, sur le fait qu'il n'y avait rien à ajouter à ce que l'un et l'autre avions reçu comme des cadeaux...

Les années passèrent et un jour de novembre 1999, monsieur Giraud nous quitta... Quelques mois plus tard, alors que sa biographie était sortie, mon meilleur ami me l'offrit. Je me mis aussitôt à la feuilleter, non sans une certaine émotion. Je commençai par parcourir les pages du regard, pour apprécier l'ouvrage dans son ensemble. Puis, lorsque j'arrivai vers la fin de celui-ci, je me mis à lire les quelques témoignages qui avaient été retranscrits. Enfin, je tournai encore une page et là, je découvris des mots qui me firent monter les larmes aux yeux : la lettre que j'avais écrite des années auparavant était là, dans son intégralité, à la virgule prés, avec toutes ses maladresses, toute sa sincérité, mais bien plus encore : tous les souvenirs lui étant attachés.

Voilà : ça, c'était Monsieur Giraud. L'homme de coeur. L'homme de pudeur. L'homme qu'il fallait apprendre à connaitre au-delà des apparences, si l'on voulait découvrir toute les valeurs humaines qui étaient siennes...

Ce jour-là, il m'a fait l'un des plus beaux cadeaux que l'on ne m'ait jamais fait. Mais quand je l'ai reçu, il avait déjà rejoint l'immensité de ce ciel au coeur duquel il aimait tant voler...

 

Depuis, j'imagine que son temps doit être bien occupé. Quand je pense à toutes ses anecdotes, ses histoires, ses expériences, ses coups de gueule, ses blagues et autres aventures qu'il avait à coeur de nous faire partager : je ne suis pas sûre que l'éternité lui suffira à toutes les raconter, à ses amis et aux autres passionnés d'aviation qui à n'en point douter, devaient l'attendre, "la-haut", impatiemment, pour eux aussi se régaler de l'écouter. Sans parler du Petit Prince et de son insatiable curiosité ! Vous les imaginez tous les deux, confortablement installés sur l'astéroide B612, en train de contempler une succession de somptueux couchers de soleil ? je ne suis pas sûre que le plus bavard des deux soit celui que l'on pourrait imaginer...

Quoi qu'il en soit, je ne voudrais surtout pas les déranger... Alors qu'il me soit permis ici, avec ces quelques mots, de simplement lui dire en mon nom et celui de toutes celles et ceux qui l'aimaient : MERCI... Merci pour tout ce qu'il nous aura donné, partagé, offert et enseigné... MERCI pour les étoiles plein les yeux des grands enfants que l'on redevenait, quand on l'écoutait ou l'accompagnait en vol... MERCI pour tous les chemins aériens tracés dans nos montagnes avec tous les pionniers dont il était... MERCI pour les petits bouquets de muguet qu'il nous ramenait chaque année de Villard-Notre-Dame, tout spécialement pour nous les femmes...

Pour tout cela et tous les rêves qu'il aura rendus réalité : MERCI... Merci à lui et son fidèle Papa Tango...

Cathy B.

 

 

Merci aussi à ceux qui font perdurer son souvenir...

Henri Giraud ou Henri Giraud

 

La photo de monsieur Giraud qui illustre cette page est extraite de l'ouvrage réalisé par Eric Soulé de Lafont :

"Henri Giraud, pilote de glacier, pilote de légende"

 

Musique : "Once upon a time in the west" - Ennio Morricone

 

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